Les analystes et responsables politiques qui s'inquiètent des perspectives d'arrivée au pouvoir des islamistes en Egypte ou en Tunisie devraient surtout s'interroger sur le sens du mot islamisme, qui recouvre divers courants dont les leaders professent des intentions différentes.Lire la suite l'article
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L'islamisme peut être défini comme une idéologie qui invoque l'islam à des fins politiques. Mais le sens du mot islamiste est si large que le terme s'applique aussi bien à la théocratie chiite anti-occidentale d'Iran qu'au gouvernement sunnite démocratiquement élu en Turquie qui frappe à la porte de l'Union européenne.
Politiquement chargé de sens, le mot islamisme peut aussi évoquer l'action délibérément ultra-violente de la mouvance d'Al Qaïda d'Oussama ben Laden, que de nombreux islamistes affichés disent rejeter, en prônant une action conforme aux préceptes de la religion du Prophète dans un strict cadre légal.
"Il faut distinguer entre des doses diverses de politique et d'islam", analyse le commentateur Mustafa Akyol du quotidien istanbuliote Hurriyet Daily News. "Un parti peut s'inspirer des valeurs de l'islam tout en acceptant un Etat laïque", fait-il valoir.
L'IRAN À UN EXTRÊME DU SPECTRE
Pour Noah Feldman, expert de la charia - la loi islamique - à l'université de Harvard, la participation de partis islamistes au jeu démocratique peut modifier leur nature, comme c'est le cas de l'AKP turc, qui plonge ses racines dans l'islamisme militant prônant un Etat islamique mais était parvenu au pouvoir en 2002 en omettant de prôner un tel Etat.
"Une fois au pouvoir, vous ne pouvez plus vous reposer sur des slogans ou une idéologie pour recueillir les suffrages, il faut produire des résultats", dit Feldman, en notant que le parti du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a "accompli de ce point de vue un travail extraordinaire".
Les Frères musulmans égyptiens et les islamistes tunisiens du mouvement Ennahda (La Renaissance) n'ont pas pour le moment été confrontés aux contraintes du pouvoir. La sincérité de leur engagement envers la démocratie n'a donc pas encore été mis à l'épreuve.
Leurs programmes respectifs dénotent toutefois une approche du pouvoir plus modérée que celles du Hamas à Gaza, du Hezbollah au Liban et du parrain de celui-ci, l'Iran des ayatollahs, qui, à l'extrémité la plus intégriste du spectre de l'islamisme a promu la hiérarchie religieuse en pouvoir politique ultime.
Dans la République islamique iranienne, qui a supplanté le régime impérial du chah en 1979, le guide suprême détient plus de pouvoirs que le chef de l'Etat, pourtant élu: c'est Ali Khamenei qui nomme les chefs de l'armée, les responsables du système judiciaire et le Conseil des tout-puissants gardiens de la Révolution.
LES "FRÈRES" AU CENTRE DU SPECTRE
Le Hamas et le Hezbollah sont inscrits sur la liste noire américaine des groupes terroristes, non pas parce qu'ils sont islamistes, mais parce qu'ils prônent la lutte armée, surtout contre Israël.
Au centre du spectre de l'islamisme se situent toute une variété de partis qui sont aussi actifs politiquement que les régimes politiques dans lesquels ils évoluent le permettent. Mais ils ont en commun leur activisme dans les domaines sociaux et caritatifs, en conformité avec les préceptes islamiques, ce qui leur assure un niveau important de popularité.
L'organisation des Frères musulmans égyptiens, fondée en 1928, est le plus ancien d'entre eux. Après avoir d'abord milité pour l'établissement d'un Etat islamique, la confrérie a édulcoré son idéologie ces dernières décennies. Le régime d'Hosni Moubarak l'a interdit en tant que parti mais a toléré ses activités.
En tant que mouvement d'opposition le mieux structuré, la confrérie devrait jouer un rôle incontournable dans l'Egypte d'après-Moubarak mais, échaudée par les répressions impitoyables dont elle a été victime dans le passé, elle s'efforce de ne pas se mettre en avant et a renoncé par avance à présenter un candidat au prochain scrutin présidentiel.
Akbar Ahmed, professeur de civilisations islamiques à l'American University de Washington, dit douter que les "Frères" cherchent à détourner la révolution égyptienne pour mettre sur pied une théocratie. Pour cet enseignant d'origine pakistanaise, "une révolution à l'iranienne n'est pas possible dans un pays sunnite", car le clergé y joue un moindre rôle qu'en terre chiite.
L'AKP LE PLUS MODÉRÉ DU SPECTRE
En Tunisie, où il vient de revenir après 20 ans d'exil à Londres, le chef historique d'Ennahda, Rachid Ghannouchi, prône de longue date une politique encore plus libérale que celle de ses "frères" égyptiens. Contrairement à eux, par exemple, il n'exclut pas qu'une femme où un non-musulman devienne chef de l'Etat.
L'extrémité la plus modérée du spectre islamiste est dominée par l'AKP (Parti pour la justice et le développement) turc, qui est devenu le modèle pour les partis confessionnels d'autres pays souhaitant concilier foi et démocratie.
Elu depuis 2002, Tayyip Erdogan s'est concentré davantage jusqu'à présent sur la libéralisation de l'économie turque que sur l'islamisation de la société, que souhaite la frange la plus conservatrice de son électorat et que lui reprochent ses adversaires politiques et militaires du camp laïque.
Les opposants de l'AKP l'accusent de nourrir un agenda islamiste caché. Le parti prévoit d'amender la Constitution turque s'il obtient un troisième mandat à la faveur des élections législatives en juin, mais face à ces critiques dément envisager de toucher aux principes laïques de l'Etat.
Les précurseurs de l'AKP étaient plus radicalement islamistes, mais Erdogan a transformé le mouvement islamiste turc, dont l'armée à brisé les reins, en un parti islamo-conservateur présentable qu'il compare souvent à l'équivalent musulman des partis démocrates-chrétiens européens.
"L'islam ne peut être séparé de la politique, mais il doit être séparé de l'Etat. Un parti peut s'inspirer de l'islam tout en évoluant dans un système démocratique", estime le chroniqueur turc Mustafa Akyol.
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