Face à une contestation sans précédent de son régime, le président Hosni Moubarak a rencontré dimanche les chefs de l'armée, qui semble détenir les clés de l'avenir de l'Egypte, tandis que des manifestants défiaient une nouvelle fois en masse le couvre-feu décrété dans le pays.
Lire la suite l'articleRéclamant le départ immédiat de Moubarak, Mohamed ElBaradeï s'est dit quant à lui mandaté par l'opposition pour négocier une transition vers un gouvernement d'union nationale et a rejoint les milliers de manifestants rassemblés dans le centre du Caire, que survolaient hélicoptères et avions de chasse.
A Washington, la secrétaire d'Etat américaineHillary Clinton a réclamé une "transition ordonnée" avec des élections libres et équitables dans le pays le plus peuplé du monde arabe, allié stratégique de Washington au Proche-Orient. Le soulèvement qui se poursuit depuis six jours affaiblit d'heure en heure le raïs, aussi le soutien de la haute hiérarchie militaire est-il crucial au moment où s'écroulent les autres piliers de son appareil politique.
Alors que des milliers d'habitants se massaient dans les rues sans être inquiétés par les soldats déployés dans leurs chars, l'opposition commence à se regrouper, notamment derrière ElBaradeï, lauréat du prix Nobel de la paix et ex-directeur général de l'AIEA.
LE MOUVEMENT EST "SANS RETOUR", DIT ELBARADEÏ
"Moubarak doit partir aujourd'hui (...) et faire place à une transition en douceur vers un gouvernement d'unité nationale", a-t-il dit à CNN avant de se rendre sur la place Tahrir du Caire, centre du mouvement de protestation où se trouvaient dimanche soir près de 10.000 personnes dénonçant la pauvreté, la répression, le chômage et le corruption.
"Vous avez reconquis vos droits et ce que nous avons commencé est sans retour", leur a-t-il lancé.
Un peu plus tôt, un dirigeant de la confrérie islamiste des Frères musulmans avait annoncé que des forces d'opposition s'étaient mises d'accord pour l'appuyer afin qu'il négocie avec le gouvernement du Caire.
Les Frères musulmans sont jusqu'ici restés à l'arrière-plan bien que plusieurs de leurs dirigeants aient été arrêtés en se voyant accuser d'exploiter l'agitation ambiante.
Sur Fox News, Clinton a déclaré: "Nous comptons sur une transition ordonnée pour que personne ne vienne combler un vide, pour qu'il n'y ait pas de vide (...) Nous ne voulons pas non plus d'une relève qui ne conduirait pas à la démocratie mais à l'oppression et à la fin des aspirations du peuple égyptien." Alors que l'heure du couvre-feu sonnait sans être plus respectée que la veille, avions de combat et hélicoptères ont survolé la place. En fin d'après-midi, de nouveaux camions militaires sont arrivés dans le secteur, mais aucun n'est intervenu contre des manifestants.
"Hosni Moubarak, Omar Souleimane, vous êtes tous les deux des agents des Américains", criaient des manifestants faisant allusion à la nomination la veille de Souleimane, chef des renseignements, au poste de vice-président qui était vacant depuis l'arrivée de Moubarak au pouvoir en 1981.
Le président égyptien a eu des entretiens avec Souleimane, le ministre de la Défense Mohamed Hussein Tantaoui, le chef d'état-major Sami al Anan et d'autres responsables militaires.
De toute évidence, ceux qui se trouvaient sur la place Tahrir ne souhaitent pas voir remplacer l'appareil politique de Moubarak par un dispositif militaire comprenant ses plus proches alliés. "Moubarak, Moubarak, l'avion attend", scandaient-ils. Un grand rassemblement s'est aussi tenu à Alexandrie.
LA POLICE DE RETOUR LUNDI
Les manifestations égyptiennes, dans lesquelles plus de 100 personnes ont trouvé la mort depuis mardi, affectent d'autres pays du Moyen-Orient dont les dirigeants peuvent redouter des défis analogues, et inquiètent les alliés de l'Egypte en Occident. La réaction de l'armée égyptienne à la crise demeure ambivalente. Des soldats protègent les installations clés mais ne tentent pas de faire appliquer le couvre-feu par la force, et on les voit souvent fraterniser avec des manifestants.
Reste à savoir si les militaires maintiendront au pouvoir le raïs âgé de 82 ans, ou s'ils le sacrifieront aux intérêts nationaux de l'Egypte - et aux leurs.
On ne sait pas si Moubarak a décidé de consulter les généraux ou si ces derniers l'ont convoqué. En Tunisie, ce sont des généraux qui ont persuadé il y a deux semaines l'ex-président Zine Ben Ali de fuir le pays après des semaines de manifestations.
La crise s'est accentuée dimanche, la population se trouvant en butte à l'anarchie dans certains secteurs. La police ayant disparu, des groupes de citoyens munis de bâtons, de chaînes et de couteaux se sont organisés pour empêcher les pillages.
Des représentants de la sécurité ont fait savoir que la police serait de retour dans les rues lundi.
On a pu observer des scènes quelque peu surréalistes où des soldats se tenaient près de chars couverts de graffiti et de slogans comme "A bas Moubarak. A bas le despote. A bas le traître. Le pharaon hors d'Egypte. Ça suffit". Interrogé à ce propos, un soldat a répondu : "Ce sont des mots écrits par les gens. C'est le point de vue des gens."
Notant que l'armée semblait faire preuve de retenue, Clinton a dit que Washington n'envisageait pas de suspendre son aide à l'Egypte.
Le gouvernement égyptien a ordonné l'arrêt des activités de la chaîne Al Djazira sur son territoire. Il avait précédemment interrompu les communications par internet et les réseaux de téléphonie mobile pour réduire les capacités de mobilisation de la contestation.
Etats-Unis et Turquie ont engagé des préparatifs pour rapatrier leurs ressortissants d'Egypte, tandis que d'autres gouvernements recommandent aux leurs de quitter le pays ou de différer leurs projets de séjour.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré qu'Israël devait faire preuve de "responsabilité et de retenue" face aux événements d'Egypte, avec l'espoir que la stabilité des liens bilatéraux ne souffre pas de la crise.