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vendredi 28 janvier 2011

Guillaume Soro : Premier ministre d’une crise à l’autre

L’homme politique ivoirien s’explique sur son engagement et ses choix

Pour aller aux élections après le coup d’Etat manqué de 2002 en Côte d’Ivoire, il était incontournable pour le régime de Laurent Gbagbo, le président sortant. Guillaume Soro, l’ex-chef rebelle, est devenu Premier ministre et a conduit les Ivoiriens à la présidentielle du 31 octobre dernier. Dans la crise post-eléctorale que connaît son pays depuis le second tour de cette élection, il se retrouve de nouveau en première ligne. Cette fois-ci, en tant que Premier ministre d’Alassane Ouattara, le président ivoirien déclaré vainqueur par la commission électorale. Samedi dernier à Bamako, en marge du sommet des chefs d’Etat de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, il a indiqué s’être engagé dans cette « autre aventure » par conviction.
La primature, il pensait, semble-t-il, en être définitivement débarrassée le 28 novembre 2010, au soir du second tour des élections présidentielles ivoiriennes. Guillaume Soro, le Premier ministre d’Alassane Ouattara, dit ne pas avoir choisi de devenir le chef du gouvernement du président élu, selon la Commission électorale indépendante (CEI) en Côte d’Ivoire. « Je prenais le risque de m’engager dans « une autre aventure », a-t-il avoué lors d’une conférence de presse ce samedi, à Bamako où se tenait le sommet des chefs d’Etat de l’Union économique et monétaire ouest-africaine auquel il a pris part au nom de son pays. Comme lors de la précédente crise, Soro est de nouveau l’homme tampon dans la crise post-electorale que connaît la Côte d’Ivoire depuis le 2 décembre dernier. « Nous aurions pris notre année sabbatique si les acteurs politiques avaient eu l’honnêteté d’accepter le résultat et le verdict des urnes », avance Guillaume Soro. « Mais lorsqu’au sortir d’un entretien avec M. Bédié (le leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, allié de Ouattara), le président élu m’a proposé d’être Premier ministre, j’y ai réfléchi. Est-ce que je devais me réfugier derrière une prétendue neutralité lorsqu’on est en train d’assassiner la démocratie et de voler le verdict des urnes. Je pense que ma nature et ma conscience me l’auraient reproché bien que (…) je prenais le risque de m’engager dans une autre aventure. Mon éthique et ma conviction religieuse m’ont commandé d’accepter d’être le Premier ministre du président élu. Je l’ai fait parce que je pense qu’il a gagné ».
« Je ne suis pas un plaisantin »
La mission était donc impossible à refuser compte tenu de cette victoire, obtenue dans le cadre d’une « élection réussie » où les Ivoiriens ont exprimé leur « soif de changement ». La défaite de Laurent Gbagbo ne fait aucun doute pour l’ancien chef rebelle, secrétaire général des Forces nouvelles qui tentèrent déjà en septembre 2002 de chasser Laurent Gbaggo du pouvoir. Guillaume Soro affirme lui avoir annoncé personnellement la mauvaise nouvelle le 1er décembre dernier. « Je ne suis pas un plaisantin, j’ai organisé ces élections. Je sais qui a gagné », argue-t-il. « (Gbagbo) ne peut pas dire qu’il ne sait pas qu’il a perdu les élections. […] En Côte d’Ivoire, il y a trois forces politiques (Bédié, Gbagbo et Ouattara). Nous tous, on sait calculer. Il y a trois forces politiques, si deux se mettent ensemble, elles ne peuvent que gagner (…) A supposer même qu’on donne un tiers à chacun, si les deux autres mettent leur un tiers, ça fait deux tiers, ils gagnent l’élection. On n’a même pas besoin de l’Onu pour (le) savoir. »
Laurent Gbagbo, dont il a été le Premier ministre également, aurait pu selon lui être « le père de la démocratie en Côte d’Ivoire ». Au lieu de cela, « lui, l’historien », convaincu par « un groupe », demeure « dans la confiscation du pouvoir », estime Guillaume Soro. « Il aurait dû être grand comme Kérékou qui est parti, qui est revenu. Comme Diouf qui est parti, qui n’est pas revenu. Quel délice y a-t-il à être un président reclus dans son palais, condamné partout ? », interroge l’ancien patron de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci), toujours aux ordres du camp Gbagbo. Rien n’a changé depuis le début des années 90 où le président sortant ivoirien était le mentor politique du jeune Guillaume Soro. Mais le combat est le même pour le Premier ministre. En Côte d’Ivoire, dit-il, « c’est le même enjeu qu’en 1990 quand il y a eu le basculement de tous nos Etats pour le multipartisme ». La crise ivoirienne « interpelle tous les démocrates du monde entier », selon Guillaume Soro. « L’enjeu dépasse la Côte d’Ivoire, poursuit-il. Ce dont il est question, c’est de savoir si on s’inscrit résolument dans la voie de la démocratie, et elle s’enracine dans le pays, ou on accepte de se soumettre à l’arbitraire [...] Ou la démocratie sera en Côte où elle ne sera pas ».
Soro et son « âme de combattant »
Et, pour le Premier ministre, l’avènement de la démocratie en Côte d’Ivoire passe aujourd’hui par la force même si le dialogue doit rester une option à ne pas négliger. « Il est évident pour (Alassane Ouattara) que tant qu’il n’y aura pas une opération militaire organisée, Gbagbo ne quittera pas le pouvoir. Nous sommes tous convaincus, mais laissons une chance à la paix de se faire en Côte d’Ivoire. Tous ceux qui brandissent le spectre de la guerre civile en Côte d’Ivoire (…) quand on évoque l’option militaire se trompent. L’option militaire en Sierra Leone a mis fin aux exécutions sommaires, aux amputations de bras et pieds coupés. » Une intervention militaire « en cohérence avec le droit international » mettrait par conséquent fin « au chaos » ivoirien. « Ceux qui ne savent pas que dans un pays, quand on a plus de 100, 200, 300 morts, c’est la guerre, doivent se réveiller parce qu’en Côte d’Ivoire, on est à plus de 300 morts », prévient Guillaume Soro. Aussi souhaite-t-il que la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) mette sur pied « rapidement » une opération « au nom du droit d’ingérence et de la sauvegarde de la démocratie ». « S’il y avait eu une intervention militaire au Rwanda dès le départ, plaide-t-il, il n’y aurait pas eu un million de morts et on aurait pas eu le génocide. »
Au moment où l’Union africaine penche pour un recomptage des voix de la présidentielle, une proposition de Laurent Gbagbo pour sortir de la crise, Guillaume Soro souligne que la Cedeao n’aurait besoin de la l’autorisation de personne pour intervenir en Côte d’Ivoire. « Le traité de la Cedeao en son article 56, sauf erreur, dit bien que notre communauté peut recourir à la force légitime militaire quand la stabilité de la sous-région est menacée », rappelait-t-il samedi dernier. Et de préciser : « Avant que le gouvernement légitime fasse la demande à la Cedeao (...), on a pris le soin de regarder et de savoir si ça rentrait dans le champ de compétence de la Cedeao. […] La Cedeao n’a pas besoin de qui que ce soit pour mener une action militaire en Côte d’Ivoire. A ceux qui craignent une guerre civile, Guillaume Soro répond : l’option militaire « a donné une réelle perspective démocratique à la Sierra Leone ». Guillaume Soro, qui revendique une « âme de combattant », nourrit le même dessein pour la Côte d’Ivoire.

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